« Numérique et environnement : l’essor d’une approche responsable, nouvel enjeu de culture commune et d’éducation. »
Dans le cadre de sa publication spéciale sur la responsabilité sociétale des entreprises, idruide a interviewé Romuald Guégan, Consultant EdTech indépendant.
Si l’on se concentre sur les impacts environnementaux – plus ou moins visibles – du numérique, des données chiffrées commencent à parvenir au grand public. Il représente aujourd’hui environ 3,5 % des gaz à effet de serre (GES) dans le monde, soit un peu plus que le transport aérien civil. Cette proportion conséquente s’explique principalement par la production des équipements, les usages représentant environ 20 % des GES. Selon différentes analyses, en 2030, la croissance des équipements pourrait être de 65 % par rapport à 2020, principalement due à l’essor des objets connectés ; elle provoquerait ainsi une augmentation d’environ 45 % de l’empreinte carbone du numérique en France. Sans inversion de cette tendance, un triplement en 2050 fait office de scénario plausible, tant en ce qui concerne les ressources utilisées dans le cycle de vie des équipements que l’empreinte carbone.
Tout le défi consiste à prendre conscience de l’ensemble des externalités négatives, car concentrées loin de nos frontières. C’est le cas notamment de l’extraction minière et, pour certains équipements, de leur devenir en fin de vie. Un smartphone de 120 grammes aura mobilisé 70 kg de matières premières dans son très court cycle de vie (de 23 à 37 mois selon les études), dont les deux tiers pour extraire les 70 matériaux nécessaires à sa conception.
Des matériaux dont on recherche, a posteriori de la conception et de la massification des usages, un moyen de récupération dans les processus de recyclage, alors que parmi ceux-ci sont présents des métaux et terres rares qui deviennent particulièrement stratégiques pour nos économies.
L’acheteur, qu’il agisse en tant que professionnel ou particulier, doit être en mesure de s’interroger sur l’opportunité de la solution technologique qui lui est proposée. Pour parvenir à cette prise de distance, l’éducation aux mécanismes cognitifs à l’œuvre permettra aux individus de lutter contre la dissonance dans laquelle ils se retrouvent. Entre image de progrès ou encore sentiment d’appartenance sociale, les équipes marketing usent de nombreux ressorts cognitifs pour élaborer leur stratégie, en s’appuyant sur des connaissances scientifiques accrues du fonctionnement humain.
S’agissant du secteur éducatif, la problématique réside dans sa capacité à préparer nos enfants à leur avenir. L’enseignement au numérique et par le numérique est devenu un incontournable, sans quoi il serait déconnecté de la société actuelle et future. La responsabilité des services publics revient à trouver le juste équilibre entre l’accès à des équipements numériques techniquement cohérents aux besoins pédagogiques qu’ils servent, tout en contenant la croissance des acquisitions de nouveaux équipements.
S’il semble aujourd’hui consensuel d’éduquer aux médias et à l’information, et aux technologies numériques sous-jacentes, dont l’IA – pour lutter contre les fake news ou contre l’enfermement cognitif des jeunes par et sur les réseaux –, l’éducation à l’impact environnemental du numérique n’est pas encore suffisamment investie. L’Éducation au développement durable (EDD) à l’école a été renforcée par la loi Climat et résilience en 2021, dans un contexte où le système scolaire se retrouve dans des phases de transition à bien des égards.
Il importe donc à l’État et aux collectivités de mettre en œuvre « la sensibilisation à l’impact environnemental du numérique ainsi qu’un volet relatif à la sobriété numérique », prévus par l’article 2. Au-delà de la sensibilisation, l’éducation et le dialogue avec l’ensemble des usagers permettront de mettre du raisonnement dans les comportements, de s’inscrire dans des actions à visée transformative, afin d’inverser cette trajectoire et de parvenir à un numérique soutenable pour l’environnement et pour les générations futures.
La régulation apparaît aujourd’hui comme le levier d’un État qui souhaite concilier des intérêts opposés, sans être dans une posture d’interdiction ni de prescription de ce que l’on peut ou non acquérir. Les récents textes législatifs et réglementaires visent à réguler la demande et l’offre des équipements par le réemploi, la réutilisation, la réparabilité, le recyclage ou encore par l’information des consommateurs. Cette régulation, en cherchant à maintenir l’innovation et les investissements, doit pouvoir compter sur l’engagement de tous les acteurs dans cette voie pour être réellement efficiente. Or, dans un contexte où innovation, production, distribution et demande sont mondialisées, les politiques de régulation doivent être harmonisées à l’échelle mondiale pour fonctionner.
Tous les défis (recyclage, optimisation des usages, etc.) représentent des opportunités pour faire émerger de nouvelles connaissances, qui permettront ensuite le développement de nouveaux savoir-faire. En lien avec la recherche scientifique, une telle dynamique peut permettre à nos territoires de faire-valoir leurs atouts. La connectivité 5G ou la fibre, sur l’ensemble du territoire, encouragent la dissémination des acteurs économiques du numérique hors des zones à forte densité. C’est une source nouvelle de vitalité et d’attractivité territoriale pour des citoyens de plus en plus attentifs à la prise en compte de l’environnement.
Par le dialogue ! Des comportements plus vertueux à grande échelle pourront émerger de la connaissance largement diffusée des impacts et des enjeux, mais également de nos propres fonctionnements et biais cognitifs. Le premier acteur public en mesure de faciliter le débat citoyen est justement la collectivité territoriale. Elle peut l’impulser et soutenir les initiatives, en structurant le cheminement nécessaire pour impliquer les différents publics et définir des propositions, tout en tenant compte de la réalité socio-économique du territoire.
C’est un défi passionnant de décloisonnement de l’éducation, de coopérations éducatives nouvelles et d’élargissement à toute sa population, qui se pose aujourd’hui aux collectivités.